En ce début de déconfinement, nous avons demandé à Charlotte Géron, gérante de HappyMonday Morning et spécialiste de la QVT (Qualité de vie au travail), de nous livrer ses réflexions sur le bien-être et la motivation des travailleurs, alors que les entreprises reprennent progressivement le chemin du travail.
Par Charlotte Géron (Happy Monday Morning)
Le risque à ne pas accompagner les équipes dans cette reprise est très simple à comprendre : pendant le confinement, de nombreux facteurs peuvent avoir mis à mal la motivation de vos collaborateurs. Deux des moteurs-clés de la motivation sont le sens du travail et le sentiment de réussite, de développement professionnel.
En étant éloignés du terrain, certains collaborateurs ont été privés d’action. Et sans action, pas de réussite. Et pendant cette période, les salariés ont aussi été coupés de leur environnement professionnel habituel. Ils ont été connectés à un autre environnement, d’autres préoccupations qui ont donné un sens nouveau à leur quotidien. Imagine toutes ces personnes qui, pendant qu’elles étaient confinées, se sont mises à faire leur pain, apprendre à cultiver leurs légumes, prendre des cours de dessin, passer plus de temps avec les enfants, etc. Combien trouveront immédiatement que ça fait sens de retourner au bureau 8 heures par jour, parfois plus ?
Et je ne parle même pas de ceux qui auront carrément profité du confinement pour refaire leur CV et se mettre à l’écoute du marché !Si les collaborateurs n’ont plus beaucoup de motivation à injecter dans leur activité, alors la nouvelle stratégie commerciale devrait être le dernier souci des dirigeants : leur premier souci devrait être de renouveler cette motivation pour avoir des équipes au top sur le terrain et qui se sentent à leur place dans leur entreprise. C’est un paramètre qui, dans certains secteurs d’activité, fera la différence entre les entreprises qui vont se relever rapidement de cette crise, et les autres.
Je n’aime pas citer des chiffres bruts, je trouve qu’on peut leur faire dire n’importe quoi ! Par exemple, certaines études parlent d’un impact du bien-être au travail de l’ordre de 12% de productivité en plus, d’autres études parlent de 37%. Les indicateurs vont dans le même sens, mais il y a un écart énorme, qui est dû notamment au contexte de l’étude (la population professionnelle étudiée, la typologie d’activité, les conditions de travail initiales, etc).
Les recherches sérieuses sont assez nombreuses sur le sujet, on en trouve qui font référence à différents indicateurs : elles montrent une relation du bien-être au travail avec l’absentéisme, le turn-over, les accidents de travail, la productivité, la créativité, la capacité à résoudre des problèmes… et même l’augmentation du chiffre d’affaires et de la rentabilité ! Elles corroborent ce qu’on peut imaginer de façon intuitive : qu’on est plus efficace quand on va bien.
Mon top 3 des actions à mener au retour dans l’entreprise, ce serait :
1. écouter
2. écouter
3. écouter
Plus sérieusement : chaque personne aura vécu un confinement différent, chacun avec ses contraintes, son environnement et son histoire. Pour mieux motiver les collaborateurs, un dirigeant a besoin de comprendre où en sont ses collaborateurs individuellement.
Ensuite, la meilleure action de QVT que puisse mener un dirigeant, c’est de redessiner collectivement les contours de la stratégie de l’entreprise.
Les dirigeants auxquels je parle en ce moment sont unanimes sur un point : les conditions de travail dans le confinement ont permis de voir encore plus clairement des difficultés ou des problématiques déjà présentes auparavant. Le confinement a eu un effet de caisse de résonance.
La première de toutes les choses à faire, c’est d’écouter individuellement et collectivement, mettre en place un “espace de discussion”, et ne censurer aucun sujet.
Je suis partagée. Une part de moi veut croire que le crise va précipiter la prise en compte de la QVT comme elle a précipité le recours au télétravail.
Mais soyons réalistes : beaucoup de dirigeants de TPE/PME qui sont bienveillants, qui cherchent à faire en sorte que leurs salariés se sentent bien (et je suis convaincue qu’ils sont nombreux !) se disent qu’ils n’ont pas besoin d’investir des budgets sur ce sujet. Ils se reposent sur leur connaissance en la matière, et leur propre capacité à impulser cette dynamique. C’est comme ça depuis 20 ans environ qu’on parle de QVT.
Les coûts liés aux conséquences d’une QVT médiocre sont invisibles pour beaucoup, alors les dirigeants ne voient pas l’urgence d’agir. Et je ne crois pas que la crise va favoriser des investissements sur le sujet, elle risque plutôt de rendre les entreprises frileuses. Alors que c’est le moment ou jamais de se lancer et d’expérimenter, car les salariés vont être hyper réceptifs et engagés sur ce sujet. A eux aussi de porter ce sujet, de montrer que c’est important pour eux, et que ce serait bénéfique pour toute l’entreprise.
On entend beaucoup parler du “monde d’après”, mais pour que ce monde advienne dans nos entreprises, il faut accepter de changer soi-même, de faire quelque chose de nouveau. L’évolution de la prise en compte du bien-être des salariés repose sur la volonté de chacun à essayer quelque chose de nouveau.
Parler de pratiques novatrices qui favorisent le bien-être des travailleurs en général est, à mon avis, un non-sens. Le télétravail partiel choisi, la gouvernance partagée, l’autonomisation des équipes, les congés illimités… Ce ne sont que des outils. Un outil n’est ni bon, ni mauvais en soi. La seule chose qui compte, c’est la façon dont on l’utilise.
Il y a 5 ou 6 ans, on ne jurait que par le concept d’entreprise libérée, on en est revenus en partie. Comme on est revenus de l’open space, du flex office, etc. Parce que derrière l’expérimentation de ce genre d’outils, il faut pouvoir contrôler ce qu’on en fait, et mesurer les conséquences à moyen et long terme.
Passer à la semaine de 4 jours, pourquoi pas ? Si ça correspond à un souhait et une projection collective. Et surtout, si ça s’accompagne d’une réelle réflexion sur les méthodes de travail, sur l’organisation et la répartition des rôles. On ne peut pas juste faire la même chose en moins de temps. Ce serait contre-productif, parce que ça ferait exploser le stress et l’individualisme.
C’est à ça que servent les intervenants extérieurs : guider la concertation, aider aux choix stratégiques, et suivre la mise en oeuvre pour réajuster si ça s’avère nécessaire.
Je ne peux pas parler pour l’ensemble des consultants, nous n’avons pas tous les mêmes méthodologies d’intervention. Pour ma part, j’ai un principe-socle pour cet accompagnement : une petite amélioration vaut mieux qu’un grand rien du tout. Ce qui compte, c’est que l’entreprise avance.
Avoir des projets de QVT ambitieux, c’est bien. Mener une démarche QVT qui fonctionne, c’est ma priorité. Si je veux une démarche pérenne et efficace pour mon client, je ne peux pas lui imposer des changements pour lesquels il n’est pas réceptif.
Donc, concrètement, je commence par une exploration auprès des différents acteurs de l’entreprise. Ca me permet de cerner le contexte, les interactions et l’ensemble de son fonctionnement. Je fournis un rapport de cette exploration, qui sera accompagné de préconisations générales si l’entreprise ne souhaite pas aller plus loin. Si mon client veut que je l’aide à passer à la vitesse supérieure, j’interviens ensuite de façon régulière (à un rythme validé avec le dirigeant) pour aider les équipes à identifier ce qui sera bénéfique pour l’entreprise, appuyer la mise en oeuvre et évaluer. Si à l’issue de cette phase mon client veut avancer encore, je me permets de pousser les équipes un peu plus que la première fois, de les aider à voir plus loin et plus grand.
Dans ces conditions d’intervention, je n’ai pas besoin de convaincre qui que ce soit : les actions mises en oeuvre font l’objet d’un consensus minimal, et de l’approbation du dirigeant. C’est la clé pour que ça fonctionne à long terme. Alors que si je fournis des préconisations, je suis sûre à 99% que rien n’aura bougé si je reviens 2 ans plus tard.
Je crois que les ressources les plus solides en la matière sont celle de l’Anact que l’on peut trouver sur leur site web anact.fr (et les sites des Aract, leurs entités régionalisées. Par ici pour celui de l’ARACT Nouvelle-Aquitaine). C’est la structure de référence en France, ils produisent des travaux extrêmement intéressants pour les dirigeants et managers. Certaines de leurs productions sont mêmes spécifiques à des secteurs d’activité.
La littérature est abondante sur les sujets liés à la QVT et au management. Un livre qui m’a marquée, c’est L’entreprise irréprochable de Jean-Marc Le Gall. Il a été écrit après la crise de 2008, mais les défis qu’il pointe me semblent toujours pleinement d’actualité. Les écrits autour de la coopération au coeur du modèle économique me semblent également à creuser.
Le blog de laqvt.fr est très solide, même s’il peut parfois sembler un peu trop théorique pour des personnes en quête de solutions concrètes. Et pour viser plus large sur la RSE, je lis personnellement la newsletter YouMatter que je trouve très qualitative.
Sans oublier que mon propre blog Happy Monday Morning, en ligne dans les semaines qui viennent, proposera bientôt ses propres contenus dédiés aux entrepreneurs et aux TPE/PME, pour donner notamment à chacun des pistes de réflexion sur ses pratiques. A suivre donc 🙂
Retrouvez Charlotte Géron sur Linkedin et découvrez son site happy-monday-morning.fr/
Propos recueillis par Anne-Céline Henault, chargée de com/marketing du SPN
Vous reprendriez bien une dose de motivation ? Ca tombe bien ! C’était aussi le sujet de notre webinar de la dernière semaine de confinement, à voir en replay sur notre chaine Yoube.
Source de l’image à la une : https://www.vitalcampus.fr/bien-etre-travail/gestion-stress/ateliers/
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